Jules Vallès
Né au Puy le 11 juin 1832 il y habite jusqu’en 1840. il va en vacances à Farreyrolles (son père est originaire de Vourzac et sa mère de Sénilhac) et surtout à Chaudeyrolles où l’oncle de son père (Thomas Vallès) reste curé de 1817 à sa mort en 1867.. il est d’ailleurs enterré au cimetière de Chaudeyrolles….
Laissons nous guider par les pages émouvantes que l’écrivain a laissées du village…Jules Vallès se tient rarement à la simple description ; il la prolonge, la magnifie par ses impressions qui franches et vives rendent compte de son génie particulier …Jules Vallès est mort à Paris le 14 février 1885
Le chemin de Jules Vallès du Puy à Chaudeyrolles
" la route était affreuse et belle : on marchait la moitié du temps entre des rochers, sur la lave des volcans. Des pierres grises, au flanc verdâtre dormaient sur leur ventre énorme comme des monstres jetés là par un déluge et sur la terre des torrents avaient creusé des routes comme des cicatrices … »
Description du village à 1846
En 1846 700 personnes vivent dispersées entre 39 lieux inégalement habités (199 habitent le chef lieu) ; les écarts et les fermes isolées s’éparpillent autour du Mont Signon (1454 mètres). A pareille altitude l’élevage s’impose mais l’économie montagnarde fermée oblige de ne pas négliger les céréales .. le tiers du sol est en labours.. Chaudeyrolles est un bout du monde que l’on atteint et d’où l’on sort par une seule route de Fay ..
La cure et ses dépendances occupent aujourd’hui le même emplacement en équerre.. l’une des branches étant l’écurie, l’étable et la cave voutée et l’autre branche la cure. L’église prolongeait la cure .. elle a été reconstruite en 1881 perpendiculaire à l’emplacement initial
.
Le village et la cure
En arrivant à la cure, on trouvait en face de soi la maison avec l’écurie à gauche, l’église à droite ; dans la cour au milieu deux trois arbres dont les feuilles étaient toujours vertes et adossé contre un mur tapissé de fleurs jaunes un vivier boîte de pierre où l’eau d’une source tombait glacée et crue pour s’échapper par des fissures et descendre en ruisseau dans la prairie. Dans cette eau qui à la voir donnait froid aux dents se baignaient des truites piquées de rouge dont on pêchait avec la main les plus belles quand passait le grand vicaire avec son neveu …
Le vent
Il soufflait sur ces hauteurs un vent aigu dont l’aile avait touché le front neigeux des Alpes vif à tuer les faibles et à rendre centenaires les forts.
Le cimetière
A deux pas était le cimetière où mon oncle venait se promener en surplis et en sabots et s’asseoir près des tombes sous un berceau de fleurs violettes. La tête foisonnait de roses et les croix perçaient de leurs bras noirs les groseilliers rouges.
A cheval
C’était dans cette maison tranquille que je passais les derniers quinze jours d’août et le mois tout entier de septembre. C’est moi qui menait la jument de l’oncle au pâturage et je montais en croupe derrière lui quand il allait à Fay le Froid. Tous les gens sur le chemin ôtaient pour nous saluer leur bonnet de laine ou leur chapeau. Quelquefois, mon oncle descendait de cheval pour aider un paysan lassé à jeter ses dernières gerbes dans un chariot ou dessanglait sa grosse bourse pour mettre un peu de monnaie dans la main d’un pauvre. On l’accablait de bénédictions et j’avais moi tout petit ma part de cette sainte popularité
Le jardin de mon oncle
Mais j’aimais mieux le grand jardin de mon vieil oncle. J’adorais surtout les fleurs brillantes, le reflet rouge des pivoines, la bigarrure des tulipes, l’orgueil des lys. Je me repaissais de la joie des yeux : il me fallait les hautes tiges, les grands panaches et je préférais la rose vermeille sans odeur à la rose pale qui embaumait.
Les chemins .. le ruisseau … la pêche
« Le cimetière est près de l’église.. il souffle un vent dur qui rase la terre avec colère parce qu’il ne trouve pas à se loger dans le feuillage des grands arbres. Je ne vois que des sapins maigres, longs comme des mats et la montagne apparaît là bas nue et pelée comme le dos décharné d’un éléphant. C’est vide, vide avec seulement des bœufs couchés ou des chevaux plantés debout dans les prairies. Il y a des chemins aux pierres grises comme des coquilles de pèlerins et des rivières qui ont des bords rougeâtres comme s’il y avait eu du sang, l’herbe est sombre, mais peu à peu cet air cru des montagnes fouette mon sang et me fait passer des frissons dans la peau.
Ici le ciel est clair et s’il monte un peu de fumée c’est une gaieté dans l’espace ; elle monte comme un encens du feu de bois mort allumé là-bas par un berger ou du feu des sarments frais sur lequel un petit vacher souffle dans cette hutte près de ce bouquet de sapins ..
La rivière est pleine de truites j’y suis rentré une fois jusqu’aux cuisses j’ai cru que j’avais les jambes coupées par une scie de glace ; c’est ma joie maintenant d’éprouver ce premier frisson. J’enfonce les mains dans tous les trous, je les fouille. Les truites glissent entre mes doigts… mais le Père Régis est là qui sait les prendre et les jette sur l’herbe, où elles ont l’air de lames d’argent, avec des piqûres d’or et de petites tâches de sang.
Vocation
Mon oncle a une vache dans son écurie … c’est moi qui coupe son herbe à coup de faux. Comme elle siffle dans le gras des prés cette faux … Je porte moi-même le fourrage à la bête et elle me salue de la tête quand elle entend mon pas… C’est moi qui vais la conduire dans le pâturage et qui la ramène le soir. Les bonnes gens du pays me parlent comme à un personnage … J’en parle à mon oncle de rester paysan un soir qu’il avait servi le dîner sous le manteau de la cheminée et qu’il avait bu son vin pelure d’oignon .
La bibliothèque
Quand il pleut et qu’il n’y a pas moyen de pêcher ni d’aller chercher des groseilles sauvages là-bas au pied de la montagne entre les pierres galeuses ou bien quand le soleil brûle comme une plaque de tôle bleuie au feu et grille de pays sans ombre – ces jours là je m’enferme dans la bibliothèque de mon oncle …